16.11.10

Filtré soporifique (1999)

Café qui goûte l’eau de vaisselle parce que filtré deux fois.
Goût amer, goût de mort auquel on s’habitue.
Papilles et esprits conditionnés : on leur a fait croire que de suivre la déviation standard assurait confort, sécurité, stabilité et longue vie.
Longue vie peut-être, mais anesthésiée et engourdie.

Yeux dans le beurre, bouche ouverte, dos courbé, verre à la main, cigarette dans l’autre.
Serais-je assez folle pour choisir sédentarisme et paralysie?

Cadre moulé de plastique sur lequel je m’acharne
Qu’à tous les jours j’astique
Tu me limites, tu m’emprisonnes.

Réalité transformée
Mensonge bien habillé
Vérité manipulée, masquée, décorée, modifiée.
Jeu du téléphone
Distorsion du message
Sens incertain
Lentilles colorées :
Espace et temps à deux dimensions seulement.

Profondeur et textures nivelées; platitude et solitude.
Plan linéaire, perspective oubliée,
Axes et pivots absents : mouvements empêchés.
Croissance stoppée
Remplacée par mutations et excroissances, boutons, pustules et tumeurs
Stupeur, distractions et inquisitions.
Indifférence du robot ou sautes d’humeur

Concentré brut est maintenant denrée rare.
Sauf bien sûr en laboratoire.

Additifs, colorants, arômes artificiels, OGMs, aliments préfabriqués,
Goût de goûts, couleur de couleurs, odeur d’odeurs,
Émotions génétiquement transmises et socialement valorisées,
Peur de la lumière divine et sourires jaunes embourgeoisés,
Agents clonés d’engourdissement de mon corps avez le même effet sur mes pensées.

Dérivés de pensées, comme du junk food
Vous n’êtes qu’imitation grossière d’idées créatrices
Malheureusement éphémères.

Spontanéité de la première pensée, du premier regard, de la première impression
Se fait bien rare dans le monde médiatisé.
Je vis dans un monde de borborygmes, de rengaines, de radotage interne.
Copies conformes, copies standard
Des billboards, des étendards
Discours intérieur sans fin et sans dessein
M’anesthésie et me donne faim pour une plus grande dose de rien.

Impossible de filtrer ce flot d’insignifiances hypnotisantes.

Je vis dans un monde de pensées de pensées
Encadrées de plastique
Encagées de synthétique.
Soporifiques.
Statiques.

Métalangage, méta maquillage, métaréflexion,
Nous vivons au-dessus ou plutôt par-dessus la vérité simple
Des mots, de la peau et de l’intelligence.

Du bagage de mes ancêtres, je n’ai soif que pour la sagesse de leur expérience.
Je n’ai qu’à faire de l’autre héritage
Celui qui vit et se multiplie à travers les âges
Comme bactéries qui font générations spontanées.
La technologie, la recherche du pouvoir, le conservatisme rustique,
L’analyse cartésienne de a vers b
Et les pensées de pensées de pensées
Survivent d’elles-mêmes et détruisent ma terre.
Fraîcheur de la surprise et de la nouveauté, quand viendras-tu m’habiter
Mon cœur et mon esprit sont sous-alimentés, sans vitamines depuis des années.

Créatrice et actrice de ma propre vie,
Comme un funambule somnambule
Je pose maintenant les pieds sur ce cadre toxique.

Par la chaleur de l’amour, je ferai fondre cette cage
Pour que ses frontières transpirent et son fard blafard suinte.

Je veux fermer les yeux pour toucher à ma troisième dimension
Celle de ma profondeur
De mon émerveillement
De ma vraie nature.
Écouter le premier message
Devenir mon propre message
Être porteuse du message
Et être écoutée.

Je refuse de rester dans ce labyrinthe aliénant où tous et chacun ont oublié le début de l’Histoire

Mais j’y suis souvent prise.

Ou, consciemment, quelquefois, j’y pose les pieds.

Comme si je disais oui
À recevoir des miettes;
Prendre le rôle de mauviette
Parce que trop endormie.